Panneau entourage Witz conservé à Annecy

Publié le par Gwilherm Perthuis

Un panneau fragmentaire du Musée d’Annecy :

 

Le Couronnement de la Vierge / St François recevant les stigmates (fig. 4 et 4 bis)

 

 

 

 

L’œuvre de Konrad Witz pose de nombreux problèmes d’attributions qui nous semblent délicats à aborder pour des raisons méthodologiques. Les hypothèses avancées par les historiens reposent souvent sur des analogies iconographiques ou formelles qui peuvent être réfutées. Les sources premières sont rares et ne renseignent que de manière indirecte sur les commandes.

 

 

Pour conclure notre étude, principalement axée sur les originalités iconographiques des œuvres attribuées avec certitude à Konrad Witz, nous souhaitons présenter un panneau fragmentaire conservé au Musée d’Annecy qui fut longtemps attribué de manière abusive à l’artiste bâlois. Cette étude de cas nous permettra de prolonger nos réflexions sur la peinture witzienne, en particulier par rapport à la diffusion des modèles.

 

 

Notice de l’œuvre :

 

 

La notice que nous proposons repose sur des recherches personnelles en cours. Le musée d’Annecy attribuait encore en septembre 2005 le panneau à Konrad Witz. La nouvelle attachée de conservation Sophie Marin est revenue avec raison sur l’attribution il y a quelques mois.

 

 

 

Suiveur de Konrad Witz, savoyard ou genevois (deuxième moitié XVe siècle)

 

Couronnement de la Vierge / St François recevant les stigmates (ca 1470-1480)

 

Huile sur panneau de bois de noyer

 

0,86 * 0,60

 

n.d.n.s.

 

Annecy, Musée-château (Inv. 1885-01)

 

 

Nous connaissons encore très mal le panneau avant son entrée dans les collections publiques d’Annecy. Il est donné au musée en 1885 par l’Administration des Hospices anneciens. La peinture est de suite attribuée à Konrad Witz par les érudits locaux qui s’intéressent aux peintures anciennes. Cette attribution n’a pas été remise en cause par le musée jusqu’à l’automne 2005. Il est certain aujourd’hui que ce panneau n’est pas de la main du peintre bâlois, même si de nombreux détails sont largement imprégnés du style witzien. La datation que nous proposons place l’œuvre dans le dernier tiers du XVe siècle et conduit à penché vers une attribution à un suiveur de Witz

 

 

Une courte étude intitulée Les Primitifs de Savoie (1961)[1] par Pierre Amiet mentionne et reproduit la peinture d’Annecy en l’attribuant à « l’Ecole de Savoie » du milieu du XVe siècle. En 2002, Frédéric Elsig introduit l’œuvre dans un essai du catalogue[2] de l’exposition La Renaissance en Savoie qui s’est déroulée au Musée d’Art et d’Histoire de Genève. Il repousse la datation à 1500 mais conserve l’attribution à un « Peintre savoyard ». Hormis ces deux mentions très allusives, le panneau du Musée d’Annecy a bénéficié d’une série d’études scientifiques du Laboratoire de Recherche des Musées de France (dernier rapport en 1988). L’œuvre arrive à Paris en tant « qu’œuvre anonyme de l’Ecole française du XVe siècle » en juillet 1960. Le panneau qui est une planche de chêne est en bon état à cette date. En 1983 la conservatrice adjointe du musée demande une étude plus poussée de l’œuvre au même laboratoire (restauration des repeints, analyse pigments, infrarouges, ultraviolets…). Un premier rapport d’état a été perdu mais l’on sait que l’œuvre a fait l’objet d’une demande de restauration complète. Des études plus précises et de restaurations se succèdent entre 1885 et 1888. Trois échantillons de couleurs ont été prélevés dès 1984 pour mieux connaître les pigments utilisés. Le détail des interventions et résultats connus sont disponibles dans le travail de muséologie d’une élève de l’Ecole du Louvre[3].Ce travail avait pour but de faire le point sur les connaissances scientifiques et archivistiques que l’on possédait sur le panneau et son histoire. Il s’agissait de revenir également sur l’attribution et de réfuter le rapprochement à Konrad Witz. Mais la fin de l’étude confronte des détails de l’œuvre d’Annecy avec des œuvres de Witz pour établir une parenté et perd de son intérêt dans une trop grande généralisation qui ne conduit à aucune véritable conclusion sur le panneau lui-même.

 

 

Les archives des Hospices d’Annecy aujourd’hui transférées aux Archives Départementales de Haute-Savoie, ont été dépouillées jusqu’en 2002. Il est par conséquent désormais possible de rechercher des documents relatifs aux acquisitions, dons, achats d’œuvres

d’art effectués par l’institution hospitalière. Il est probable que des mentions pourront permettre de restituer une partie de l’histoire de l’œuvre. Les conditions d’acquisition et l’origine de l’œuvre avant le XIX e siècle seront des éléments essentiels à une meilleure compréhension de la peinture. Ces recherches relativement longues sont en cours d’élaboration.

 

 

Quelques réflexions autour de la peinture :

 

 

            Il est intéressant de noter que le panneau que nous présentons a toujours été montré côté Couronnement de la Vierge visible et les restaurations n’ont toujours concernées que cette même face. Une tradition s’est mise en place autour de cette peinture : une tradition d’attribution qui ne repose pourtant sur aucun document tangible, et une tradition de monstration qui dévalorise complètement l’autre face de l’œuvre. Ceci nous fournit de manière détournée des informations sur la manière de considérée l’œuvre et par conséquent sur son importance. Il est fort probable que la face B du panneau ait été peinte plusieurs années après la face A. St François recevant les stigmates a été négligé alors qu’un paysage et un édifice savoyard tiennent une place importante dans l’œuvre. Aujourd’hui l’œuvre est présentée au centre d’une salle sur un socle de manière à ce que le visiteur puisse visualiser les deux faces.

Le panneau étudié est un véritable fragment, une trace lacunaire. Fragment d’un tout, car il devait vraisemblablement faire partie d’un triptyque dont les deux autres morceaux sont perdus. Fragmentaire aussi puisqu’il a été coupé au moins sur un côté. Les traces de la coupe irrégulière sont visibles à l’œil nu. L’aspect de la découpe nous incite à penser qu’elle est relativement ancienne (peut-être antérieure au XIXe siècle). Il faut par conséquent prendre en considération le fait que le panneau était à l’origine deux fois plus grand qu’aujourd’hui et que l’ensemble était près de six fois plus grand.

Les motivations des mutilations de ce type d’œuvre peuvent être multiples. Simplement matérielles : il s’agit de faire rentrer une peinture dans un lieu très spécifique et l’ensemble ne peut y être inséré. Relatives à des problèmes de conservation : des insectes xylophages ont pu attaquer une partie du panneau ce qui a contraint le propriétaire à le couper pour interrompre la contamination. L'oeuvre a pu être transféré à Genève pendant els torubles de Réformateurs de 1525 à Genève. La vague iconoclaste ayant été plus virulante qu'en Allemagne, en particulier sous l'impulsion de Calvin.

Ce que la peinture nous montre

 

 

A la marge droite du Couronnement de la Vierge , une main pénètre le champ pictural. Ce détail qui aurait pu être rapproché du chapeau de cardinalice présenté à la marge dans la Présentation du cardinal de Metz (fig. 14) de Konrad Witz, est perçu d’une manière complètement différente à partir du moment où l’on sait que le panneau a été coupé. Notre vision contemporaine de l’œuvre est très éloignée de celle que l’on avait au XVe siècle. N’est-ce pas d’ailleurs la transformation du format du panneau qui a induit une attribution à Witz abusive par un rapprochement au motif du retable de Genève ? Attachons nous à ce que la peinture montre dans ce panneau pour déduire des relations avec des originalités iconographiques soulevées dans la peinture de Konrad , mais surtout pour démontrer les différences d’interprétations de ces originalités.

 

L’iconographie en elle-même n’est pas très originale. La Vierge est présentée de ¾ devant un trône démesuré. Des anges jouent de la musique et couronnent la Vierge dans la partie supérieure de l’œuvre. Ce fragment de belle qualité mêle un traitement stylistique propre à la peinture savoyarde de la fin du XVe siècle et des détails plus spécifiques pouvant être issus de la peinture de Konrad Witz. La morphologie des visages correspond à la typologie développée par Witz dans un certain nombre de ces œuvres. Le menton en triangle inversé de la Vierge est un type peu original qui est attaché aux représentations savoyardes et genevoises contemporaines. Le travail du fond doré est à placer dans la même catégorie, des motifs qui sont issus d’un répertoire de formes commun à un groupe d’artiste très large. Des incisions délimitent les contours des personnages sur le fond d’or et les auréoles sont décorées en relief (pastiglia). Ceci fait de l’œuvre d’Annecy une peinture de qualité importante mais qui s’inscrit complètement dans la tradition du gothique tardif savoyard (pour reprendre des formules classiques).

 

Certains éléments toutefois semblent issus de réflexions différentes, plus directement liées aux préoccupations de Konrad Witz que nous avons mis en valeur dans le cœur de notre étude. La manière de placer les anges dans l’espace par exemple : ils sont aux marges de la représentation et l’un d’eux est même coupé. D’autre part le rôle joué par le trône est très important. Il fait office de repoussoir et doit d’avantage être vu comme un élément plastique, plus que comme un objet purement iconographique.

 

            Sur la face B, nos recherches portent sur le paysage qui est assez remarquable à l’époque dans ce contexte de création, et sur la représentation d’un édifice militaire à proximité d’un cours d’eau. Nous avons tenté de rattacher cette représentation en consultant l’ouvrage de Blondel consacré aux châteaux de l’ancien diocèse de Genève[1]. L’observation des plans des châteaux permet de proposer deux lieux probables ayant pu servir de référence au peintre. Il s’agit de plans allongés quadrangulaires cantonnés par trois ou quatre tours. Nous pensons au château de Rougemont situé sur la commune de Saoral (canton de Genève), où au château de la Bâtie-Meillé à Genève (Plainpalais) dont les restes sont situés près de l’Arve[2]. Ces éléments sont à reprendre dans une étude plus précise de la peinture.

 

 

            La peinture du musée d’Annecy pourrait être attribuée à un suiveur de Witz, à un artiste qui aurait pu apprendre à peindre à son contact. L’œuvre d’Annecy comprend des motifs peut-être empruntés à Konrad Witz mais le traitement nous paraît plus faible, moins convaincant, plus pondéré et rangé. La personnalité de l’artiste qui a réalisé ce panneau n’est pas aussi forte que celle de Konrad Witz. L’artiste souabe a certainement exercé une influence forte sur ses contemporains mais sa personnalité spécifique n’a pu être égalée par les suiveurs. Sa conception du sourire en peinture est parfois fine, dans d’autres circonstances très envahissante. Mais il sait manier habillement des outils plastiques aux ressorts humoristiques. L’œuvre d’Annecy est emprunte de ses ressorts mais les originalités qui ont pu être observées sont transposées d’une manière moins convaincante. Certains éléments ne sont pas compris par l’artiste suiveur.

 

 



[1] BLONDEL, 1956

 

[2] Rivière importante qui se jette dans le Rhône à Carouge, commune limitrophe de Genève.



[1] AMIET, 1964, page 4

 

[2] COLLECTIF, 2002, page 78

 

[3] Mémoire de DEA consultable au Musée d’Annecy. Nous ne détaillons pas ici ces résultats car ils ne nous apportent que peu d’éléments pour comprendre le peinture elle-même. Les infrarouges les plus intéressants seront présentés plus bas. Cf. SARGON, 1998

 

Publié dans konradwitz

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article